En Inde, des artistes rendent leur prix pour lutter contre l'intolérance

  • Emmanuel Tellier  Télérama
  • Publié le 09/11/2015. Mis à jour le 09/11/2015 à 17h34.

  • Ils sont cinéastes, écrivains, chorégraphes... et s’inquiètent de la montée en Inde des violences inter-communautaires. Pour protester, ils ont décidé de rendre à l'Etat leur prix ou leur médaille.

    Le torchon brûle entre le gouvernement indien, dirigé par le Premier ministre Narendra Modi depuis mai 2014, et la communauté artistique du pays – cinéastes, écrivains, chorégraphes, plasticiens. Vingt-quatre de ceux-là viennent d'annoncer qu'ils rendaient à l'Etat indien un certain nombre de prix et distinctions reçues pour leur travail et leurs œuvres au cours des dernières années afin de protester publiquement contre l'état de tension extrême qui règne actuellement dans le pays.

    Ces vingt-quatre créateurs viennent gonfler un mouvement de protestation collective initié il y a dix jours par douze cinéastes, eux-mêmes inspirés par deux écrivains, Uday Prakash et Nayantara Sagal et quelques figures du monde de l'université. Leur message : peu importe quel parti ou responsable politique – au pouvoir ou dans l'opposition – nous a remis ce prix ou cette médaille, nous les rendons pour alerter les consciences sur la montée de l'intolérance entre les différentes communautés qui composent l'Inde, et les menaces que les nombreuses violences récentes (dont des cas de lynchage à caractère religieux) font peser sur notre démocratie.

    Particulièrement montré du doigt, Narendra Modi est le leader du BJP – le Bharatiya Janata Party, parti nationaliste hindou. Beaucoup le considèrent comme un « dur » à l'intérieur d'une formation déjà très à droite et se référant de plus en plus ouvertement à l’hindutva, concept qui encourage la défense active du patrimoine et des traditions indiennes face aux « idéologies » venues de l'étranger (en vrac, l'islam et le christianisme, mais aussi le communisme et le capitalisme). Les observateurs  reprochent à Modi un discours de plus en plus radical et des saillies islamophobles à répétitions.

    Parmi les cinéastes s'étant délesté de prix et médailles se trouvent Dibakar Banerje, deux fois distingué du prestigieux National Film Award – doublement retourné à l'expéditeur –, ainsi que le très populaire Seed Akhtar Mirza, qui a signé de nombreux films mais aussi des séries télé à succès à la fin des années 80. Egalement auteur de films considérés comme progressistes, leur aîné Kundan Shah (68 ans) a lui aussi rendu ses prix, ajoutant qu'il ne pourrait plus réaliser son Jaane Bhi Do Yaaro dans l'Inde d'aujourd'hui. Immense succès en 1983, cette comédie tournée à Bollywood s'attaquait au thème de la corruption.

    Dernières figures du monde de la culture – et pas des moindres – à faire porter leur voix dans le débat : Salman Rushdie, Anish Kapoor et Arundathi Roy. Les deux premiers, qui s'étaient vivement opposé au BJP et à Modi pendant la campagne électorale de 2014, ont évoqué le sujet lors d'interviews, expliquant qu'ils n'avaient aucun prix à retourner, mais qu'ils auraient volontiers pris part au mouvement s'ils avaient pu.

    L'auteure du Dieu des petits riens (1997) est allée un cran plus loin en rendant un prix reçu en 1989 mais aussi en publiant une tribune au vitriol dans un quotidien national. Se réjouissant que ce mouvement prenne de l'ampleur, l'écrivain et activiste précise dès le premier paragraphe que « ce qu'on appelle ici intolérance porte en fait plusieurs noms bien plus justes : lynchages, mitraillages, mises à feu, meurtres en série ». Puis elle poursuit : « Je ne peux  pas faire semblant d'être surprise ou choquée : nous savions très bien à quoi nous attendre venant de ce gouvernement élu dans l'enthousiasme, avec une très forte majorité (…) Tous ces meurtres affreux sont le symptôme d'un malaise plus profond. Des populations entières – des millions de dalits, d'adivasis, de musulmans et de chrétiens – sont contraintes de vivre dans la terreur, sans trop savoir quand et de quel côté va venir l'attaque. »
     



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